Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson.
ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson.
Publicité
11 octobre 2009

Et tout ira bien.

10435_151626369563_570684563_2521158_8101884_n







  Elle sortit de chez elle, fâchée. Elle voulait savoir ce qu'il avait à lui dire, mais ne l'écouterait pas. Voulait juste voir son visage se tordre, demander pardon. Sans méchanceté. Constater les dégats. C'était devenu son boulot de bonne copine.
Elle passa au café se racheter des clopes, faut que je prévoie parce que le dimanche, tout est fermé, il faut aller chez l'arabe et payer 6,50€ le paquet, et se faire reluquer de haut en bas. Sur le chemin, elle s'en grilla trois et s'étonna de se souvenir par  où passer.
Suzanne est pas branchée pathos, discours larmoyants sur l'amour perdu, regards implorants. IL faut que ça dure le moins longtemps, je vais pas tenir s'il me fait le coup de je-pose-ma-main-sur-la-tienne. Pas très branchée transports en commun non plus, alors aujourd'hui, elle se tape Montmartre/Haussmann à pied. Le plus naturellement du monde.
  Elle aurait pas répondu si elle avait fait gaffe au numéro qui s'affichait. Elle aurait du s'habituer à ce que ce soit toujours lui, le samedi matin. Mais non. Suzanne ne s'habitue pas, Suzanne ne s'habitue jamais à rien, Suzanne regarde toujours les choses avec émerveillement, comme aux premiers jours. Alors Suz ne s'est pas habituée à ce numéro, ni à cette voix de déterré. Elle s'en voulait à chaque fois d'avoir décroché. A chaque fois on lui dit prends en de la graine Suz, mais elle vous la crache à la gueule votre graine, elle mord dedans, elle mâche et elle recrache tout.
  Décida quand même de sauver quelques clopes, mais s'en fuma une dernière pour la route. Etait étonnée d'arriver avant lui. Etonnée parce qu'elle ne se rappelait pas qu'à 7h du matin, ça allait déjà si vite, étonnée de ne pas le voir d'entrée de jeu, étonnée de se souvenir qu'il arrivait toujours en premier. Etonnée de s'en étonner.
- Mon bus a eu du retard.
- T'as qu'à venir à pied.
  Elle leva la tête, en bonne constatatrice de dégats. Aouch.
  Elle avait oublié qu'à ce moment là, quand elle levait la tête, les yeux remplis de mépris, il posait ses mains rugueuses et blanches sur les siennes. Prends en de la graine, bordel.
- S'il te plait, Suz.
- Tu vas pas recommencer? Tu m'as dit que c'était important...
  Comme à chaque fois, d'ailleurs. Viens Suz, s'il te plait, c'est important, c'est la dernière fois, ou presque, mais viens.
- Il faut que tu me laisses la voir.
  Voilà, comme à chaque fois. Après tu vas me dire que t'en peux plus de l'imaginer toute seule blah blah, mais hé, pauvre con, t'as oublié qu'elle est avec moi?
- On en a déjà parlé Yann, plein de fois, nan ? Tu le sais très bien, qu'elle va revenir, mais laisse lui du temps. Laisse la respirer, reprendre des forces, tu sais bien que ça la crève, autant d'amour avec toi, elle reviendra quand ça lui manquera, quand elle se sera rendue compte que c'est ça, sa vie, et pas mon appart pourri.
- Tu dis ça à chaque fois, et ça fait deux semaines qu'elle est partie. Je la connais, si elle a décidé de me détester, elle va faire son histoire jusqu'au bout, même si elle va envie de revenir, elle va faire en sorte que ça se passe mal, parce qu'elle veut des larmes et des engueulades.
  Elle avait oublié que Yann cernait parfaitement Niobé, même de loin. Avait oublié que Yann aimait Niobé. Elle s'en voulait d'oublier, parce qu'à chaque fois ça crevait les yeux. C'est la seule chose dont tu dois te souvenir , Suzie, que Yann aime Niobé, qu'il t'appelle parce qu'il l'aime, qu'il est le gentil dans l'histoire.
- Oui je la connais, et je sais qu'une fois qu'elle aura pleuré, qu'elle se sera fait tout le mal dont elle a besoin, elle sera sur le cul et elle reviendra.
- Arrête de la défendre, Suz.
- Je suis de ton côté, putain. Je suis venue, je viens à chaque fois, je te donne de ses nouvelles, elle va bien, relativement en tout cas, elle boit toujours autant de café, elle fume toujours autant, elle dit toujours quatre fois par jour que ça sert à rien d'arrêter, si c'est pour avoir toujours envie de recommencer, elle s'engueule toujours avec sa mère, elle met toujours les pulls de Matthieu, elle fait exprès de pas mettre les tiens. Je coopère, quand même, je suis pas là pour que tu me fasses la leçon. C'est toi qui arrives en retard, alors que c'est moi qui me lève à l'aube parce que tu me demandes de venir. Je vis avec elle, ou plutôt, elle vit avec moi, et j'essaye, tu vois, je lui dis tu devrais lui téléphoner, mais je la comprends aussi, je peux pas la forcer, je peux pas lui répéter toute la journée...
- Je pars.
  Yann part. Yann laisse Niobé. Yann laisse Niobé chez moi, dans un appart pourri du Montmartre miteux. Yann n'aime pas Niobé alors ? Si, apparemment, Yann part le temps que Niobé aille mieux.
  Sur le chemin du retour, Suz finit son paquet, s'en rachète deux, et sourit d'avoir déccroché.




  Elle était étendue, la tête ballante, les jambes en l'air, sur le lit. Une cigarette se consumait entre ses doigts, et il s'énervait à l'autre bout du fil.
- Mais si, regarde, tu viens demain pour m'aider à rassembler le reste, on bouge tout ici chez Suzie, et toi tu récupères les gros meubles pour chez toi!
  Mais je t'ai déjà dit que j'avais du boulot, blah blah blah.
- Bon, va te faire foutre.
  Non mais.
  Suz se glissa de profil par la porte à peine ouverte, ne dit rien, et attendit que cette conne de Jésus version clic-clac ne lève la tête. Raté. Va s'asseoir à côté de la crucifiée, qui lui sourit gentiment, avec la jolie tristesse de la ruputure récente en arrière plan.
- T'étais où?
- Haussmann.
- Oh.
  C'est bon, Suz, tu vas voir Yann en cachette, tu lui parles de moi, tu lui dis que je vais revenir, tu le nourris assez pour qu'il ait de quoi vivre, et tu me parles en sous-entendus. Putain.
- Il t'a appelée quand ?
- Tu dormais encore.
  Tu dormais tellement que t'as pas entendu les trois fois où il t'a appelée avant de choisir l'option dernier recours, l'option viens Suz, j'ai besoin de toi.
- Ca sert à rien qu'on parle de ça.
- T'as mangé?




  Bon, c'est ça de fait. Elle va aller mieux. Quand je vais rentrer, elle sera là, elle me tirera par la manche, elle remettra mes pulls, et elle agrippera mes cheveux en chuchotant putain Yann! Elle ne changera pas.
  Il alla se poser au Sacré Coeur, mais les touristes, les musisciens, les marchands le firent vite chier. Ils salissaient ses marches, polluaient son air. Connards sans-gênes.
  Du coup, il marcha jusque chez Matthis, dans le 20ème. Tu ressembles à Suzanne, à marcher avec obstination comme ça. Il sourit un moment de sa comparaison.
  Quand il arriva, il ne fut même pas surpris de trouver l'appart dans un bordel innomable, deux trois mecs dans la cuisine, une fille dans les toilettes, et enfin Morgane et Matthis, dans leur lit. Quoi qu'il arrive, ils finissaient toujours dans leur lit, à peu près sereins, totalement amoureux, et carrément décoiffés.
- Eh, qui va là.
  Pensa à Niobé. Au jour où elle l'avait attendu, à la fermeture de la boutique, où elle l'avait emmené au Sacré Coeur, pour la première fois. Au jour où elle s'était penchér sur lui en gémissant, où elle avait grandi, d'un coup, où elle était devenue une femme, et plus une petite fille perdue dans un magasin d'antiquités.
Il fit su café pour les deux Ghandi, alla tenir les cheveux de la fille des chiottes, histoire qu'elle finisse de vomir tranquille, et aida toute la fanfare à ranger.




- Deux cafés s'il vous plait.
  Mais bien sûr, tout de suite Mesdemoiselles. Le serveur bouffe des yeux Suzanne, qui lui sourit franchement, de son sourire type j'ai pas besoin de toi pour égayer mes nuits, jeune homme.
-Yann part.
  Bien sûr que Niobé le savait. Elle savait tout ou presque avant presque tout le monde sur Yann.
- Hein?
  Fais pas la conne, tu le savais.
- T'aurais du t'end outer, avec tes conneries il a fini par croire que tu serai mieux sans lui.
  Suz adapte toujours les dialogues.
- Ben il a pas tort.
- Bon stop, je tiens pas à te foutre dehors, si on pouvait éviter de s'engueuler, je préfère.
  Niobé, regarde moi, c'est pas du gachis ça? T'obstine pas à la détester alors que, là aussi, ça crève les yeux. Gâchis, gâchis, gâchis.
- Oh putain!
  Niobé, bouche ouverte, les yeux rivés sur la porte du café.
- Hatan!
  Ha quoi? Niobé devient samouraï? Niobé invoque un esprit? Niobé insulte un ancêtre?
- Haaaaaaaaatan!
  Voilà son rituel vaudou accompagné de grands gestes de bras. Seigneur.
- Niobé, putain!
  L'ancêtre est un asiatique à l'air heureux.
- Viens, assieds toi!
  Je la sens mal, la tablée spiritualisme là.
Le type se tourne vers Suz, qui ne sait plus bien à quoi penser.
- Hatan.
  Oui, j'ai pigé mon grand.
- Suzanne.
  Niobé, réveille toi, je suis en train de te voler ton morceau de viande.
- Ma mère et la sienne étaient super amies, ça date du collège.. elles ont gardé à peu près contact, mais là elles se sont pas vues depuis.. ça doit bien faire 5 ans quoi.
  Cinq ans Niobé, y a cinq ans tu connaissais pas Yann, tu dormais toujours chez moi, et il y a eu Matthieu, et c'est moi qui avais froid la nuit. Y a cinq ans t'avais pas besoin qu'on t'abime, tu t'en occupais toute seule, y a cinq ans t'avais des cernes, encore plus de noeuds, des trous partout, y a cinq ans t'étais encore plus pâle, on s'inquiétait pour toi, y a cinq ans tu avais 10kilos de moins. Y a cinq ans t'étais au top.


- Bon, pose le là, on foutra tout dans le camion après.
  S'affalent sur le canapé bousillé. Nuage de poussière.
- Il arrive quand Matthieu?
- Je sais pas il a dit que j'pouvais lui laisser les gros trucs, toute façon y a tout chez toi, alors ça devrait le faire.
  Ca se passe d'approuvement, Niobé s'installe chez Suzanne, c'est tout.
Fais gaffe, si ça pètre entre elle et moi, c'est chez toi qu'elle va atterrir, c'est ta chambre qu'elle va étouffer avec ses merdes d'encens, tu m'avais prévenue Yann, au café une semaine après qu'elle s'installe chez toi. Sept mois après cette fatidique journée, Niobé sonnait, une valise verte à bout de bras, les yeux enflés, les yeux trempés, elle trouvait même pas utile de s'expliquer. Je t'ai faite entrer, et on s'était couchées, côte à côte dans le plumard 140 de Mère Thérésa, comme à chaque fois.
  Très vite, on nous a prises pour un parfait petit couple. C'est vrai qu'une dreadeuse en robe à fleur avec une extraterrestre blonde et emmêlée, se tirant par le bras, ça portait à confusion. On en rajoutait, on se prenait par la main, on s'embrassait, tout ça pour voir les yeux énormes de trois minets qui croyaient mettre le grappin sur deux folles du cul. Et on se balançait autour des poteaux.
- Je peux pas faire ça.
  E.T regardait le vide, affalée au beau milieu de la rue, sur leur canapé renversé.
- Je peux pas, je peux pas vider l'appart, je peux pas reprebdre ma guitare, je peux pas faire ça pendant qu'il est pas là, le prendre en traître. Il va revenir et ça sera vide, y aura plus rien dans son propre appartement, et j'aurai tout vidé. Putain, c'est moi qui ai claqué la porte en lui beuiglent qu'il était trop con pour remarquer que je marchais dans ses pas tous les matins, que je m'asseyais sur la rembarde derrière son banc, c'est tout ce que j'ai pu lui reprocer, et ça m'a paru beaucoup. Je peux pas vider son appart alors que c'est moi qui l'ai rempli.
  Elles restèrent longtemps là. Il n'y avait rien d 'autre que cette prise de conscience tardive dans l'air.
Ca a mis le temps qu'il fallait, mais c'est bon, putain, elle a pigé que c'était de sa faute.
- Bon, on remonte tout alors?
  Merci Suz.


Yann reposa son briquet et chercha. Quelque chose d'intéressant, n'importe quoi. Balayement de la terrasse, de la rue, des conducteurs. Rien. Personne n'en valait la peine. Les gens étaient tristes. Les gens étaient seuls. Les gens étaient seuls et cons. Putain, t'es pas sorti d'affaire mon pauvre enfant. Si en plus tu dois attendre que madame la martyr daigne remettre tes pulls, tu vas mourir ici, triste, seul, moche et con. Voilà, les gens ici ont tous attendu leur Niobé comme des attardés et elle est jamais revenue. Ils se sont tous fait baiser. Yann, sort d'ici.
  En plus le café est trop chaud, ma clope est déjà finie, il fait froid, j'ai plus d'eau chaude à l'hôtel. Temps de merde, ville de merde, boulot de merde.
Rha.
Sortit son téléphone. Connaissait le numéro par coeur. Réponds. Réponds!
- Ouiii?
  Dieu Merci.
- Suzie, c'est Yann..
  Bruits de pas, elle traverse le couloir, Niobé doit pas entendre.
- Tu vas bien? T'es où?
- Ca va, oui, j'suis à Croubevoie, dans un hôtel pourri.
  Les murs pourris, la bouffe pourrie, la musique dans le hall pourrie, les dents de la gérante pourries.
- T'as besoin de quelque chose? Tu veux que je passe te voir?
- Tu viens à pied?
- T'es con.
- Nan, ça va, j'ai tout ce qu'il faut, j'avais juste pas envie de disparaitre complètement..
- Niobé a pas vidé l'appart.
  Silence. Niobé a laissé les chats. Niobé a laissé le vieux canapé. Niobé a laissé sa guitare. Niobé n'a pas éteint l'encens. Il y aura toujours une vieille tasse de thé indien. Il y aura toujours son shampoing à la fleur d'oranger. Il y aura toujours des trous partout.
- Elle veut pas que ça soit vide quand tu reviens.
  Niobé sera toujours à l'appart, pliée dans ses bouquins sur le karma.
- Elle a compris, pendant qu'on était en train de vider, on était sur le canap dans la rue, et elle a tout pigé.
  Depuis quand Niobé se rend compte de ce qu'elle fait? Depuis quand ça lui importe que mon appart soit vide? J'aime pas ça.
  Balança sa clope rongée jusqu'au filtre. Niobé changeait. Variante qu'il avait oubliée d'envisager.
- Faut que j'y aille.
- Yann..
- Oui ?
- Merci d'avoir appelé. Bye.
  C'est elle qui a raccroché.


Tu vas voir, cet endroit est trop bien, et ce mec est trop bien.
Mon cul.
C'est non fumeur, ça fait une heure qu'on attend une pizza de merde, ton super mec est en retard et tu veux même pas payer pour deux, alors que moi je paye le loyer tous les mois, ma petite. Et puis même après qu'il soit arrivé, après une pizza, une crème brûlée et un café, après une clope dans l'entrée, accompagnée de ce mec génial, ma journée est toujours aussi pourrie.
Me demande pas ce que j'en ai pensé, je pourrai pas me retenir de te vomir tout ce que je me tape depuis une semaine avec toi, ce que j'ai pensé de tout ça, de ton canapé pourri, de ton Hatan pourri, de ton encens pourri. Mais oui, je t'aime comme ça, je t'aime ma chérie, je t'aime chiante, contradictoire et lunatique, mais ce putain e loyer, Niobé!
- Il t'a dit quoi Yann tout à l'heure?
  Je t'aime intéressée aussi, oui.
- Oh, pas grand chose.
- C'est ça, complote avec lui.
  Faut t'aimer pour te supporter, vraiment.
- Commence pas à me faire chier Niobé.
- C'est toi quie me fais chier. Yann t'appelle, tu me dis rien, tu fais la gueule toute la soirée, tu lèves même pas les yeux sur Hatan, tu me taxes cinquante clopes, tu finis pas ta crème brûlée, alors que putain, d'habitude tu te ressers!
  Je commence à piger son histoire de rembarde et de banc.
- Je rentre.
- C'est ça.
  Soirée de merde, amie de merde, crème brûlée de merde, loyer de merde, asiatique de merde, chaussures trouées de merde.

- J'en peux plus, bordel! Elle prend toute la place dans mon lit, c'est même pas un vrai 2 places. Elle paye même pas un quart du loyer, et elle me reproche de pas reprendre de dessert, putain!
- Je suis pas si mal à Courbevoie alors..
- Soutiens moi bordel! Le pire c'est que je peux pas lui reprocher de se tourner vers moi. Jveux juste qu'elle admette qu'elle a tort..
- Ca viendra.
  Super, merci Yann.
- Bon salut.
  Bim.
  Le clic-clac, c'est toujours mieux qu'E.T qui pompe tout l'espace dans le 140. Mais comment tu peux en vouloir à ce tout petit bout de gitane qui vient dans la nuit se serrer contre toi, parce qu'elle ne sait plus dormir toute seule?
- 'rive pas à dormir.


- Tu fais quoi, toi alors?
- Oh ben de la musique.
  Grands dieux. Hatan fait de la musique.
- Du violon en fait.
- Ah ouais, j'en ai fait quand j'étais petite.
- Pourquoi t'as arrêté?
- C'était un désastre.
  Allez, marre toi.
- Tu vis avec Niobé?
  Encore un cadeau du ciel, ouais.
- Elle vit sur moi plutôt.
  Elle achète du bio qu'elle pose par dessus mes haricots, elle fout une housse orange sur ma coueyye, elle met son jazz sur mon reggae.
- J'ai vécu avec elle aussi.
  Tu m'en diras tant.
- Quand ça ?
- On était petits, mais faisait déjà ça. Ma mère était un peu paumé, on avait plus de tunes, on a vécu chez elle un petit moment.
- Si c'est pas charitable.
  Faut apprendre àse taire Suz, surtout quand un violoniste charmant te fixe droit dans les yeux en te parlant de sa mère.
- Excuse moi, je voulais pas dire ça méchamment.
- T'inquiète.
  C'est un t'inquiète usé ça. Habitué, martyrisé, un t'inquiète qui a du en connaitre d'autres. Hypocrite.
- Je parie que t'étais dingue d'elle, et qu'elle voulait de toi quand elle s'emmerdait.
  Got ya. Je sais tout d'elle, mon grand, je sais tout ce que les hommes pensent d'elle, et tout ce qu'elle pense des hommes.
- Quand on était petits ouais. Et vers 15 ans ça m'a soulé.
- Quel homme.
  Tais toi Suz.
- Bon j'arrête avec l'ironie, je vois clair en toi et c'est pas ton truc.
  Cette fille est pas possible.

  Les soirées passaient toutes seules, de toute façon. Il avait trouvé un équilibre avec ces dîners chez Suzie, avec Niobé et tous les autres, avec l'orchestre, qui partait plus trop en tournée, et c'était pas plus mal comme ça. Ca le changeait de sa banlieue pourrie, de sa mère qui vivait la nuit, qui foutait rien de ses journées et qui l'emmenait au theatre une fois par semaine. Faut que tu sortes Tan, faut pas que joues toute la journée tout seul, ça va user ton talent. Yaelle vieillissait et semblait s'en réjouir, semblait heureuse de voir qu'elle n'échappait pas au temps, que, quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle puisse dire contre la société, les gens, la politique, elle s'usait, contente de constater que c'était notre lot commun. Et il regardait sa mère se rider, il regardait ses longs cheveux se fâner, et ça le réjouissait aussi.
Maintenant qu'il était parti, il recommençait à user son talent, il jouait de mieux en mieux, et il vieillissait aussi. Et ça lui allait.
Crac. Suz plantait rageusement sa cuillère dans une crème brûlée.
- Hé.. ça va ?
  M'interromps pas dans mon rituel, toi.

  J'espère au mois qu'elle va dormir chez lui, parce qu'elle me laisse encore toute seule. Tant qu'à faire, autant qu'elle s'amuse.
  Ce yaourt est dégueulasse. Elle se grilla une énième clope et ferma la vitre du balcon. C'est à peine si elle trouve le téléphone maintenant qu'il sonne.
- Oui?
  Rien que ce silence lui ressemblait.
- Yann?
  Arrête d'être toi deux secondes et réponds bordel.
- Suzie est pas là?
  Je rêve. Je-rê-ve.
- Non.
- Ah. Je rappellerai demain.
  Je connais le silence que tu vas laisser avant d'engager la discussion, pauvre con.
- Nan.
- Nan ?
- Rappelle pas. Arrête de lui parler, arrêtez de faire comme si vous étiez amis pour vous donner une raison. Arrête de demander des nouvelles et de partir après. Et pour une fois dans ta putain de vie, Yann, va te faire foutre.
  Bordel. Bordel de merde.
  Reviens Suz.


- Je te paye pas pour regarder les passants Poe, alors bouge toi!
  Table n°5, farfalles au saumon, diabolo menthe plus steack frite pour le petit. Allez, hop.
  C'était pas Yann. C'était pas Yann dans la rue, accroché à une pute rousse.Même démarche courbée, même gueule, même rire. C'é-tait-pas-Yann. Yann est à Courbevoie, dans un hotel pourri. Yann laisse du temps à Niobé. Yann téléphone, maisYann n'est plus là.
- Poe! t'es empotée ou merde?
  Chemise blanche éclaboussée de menthe à l'eau, bouts de verre dans les mains. Dommages collatéraux.
- Pardon...
  Pas la peine de rougir Suz, c'est qu'un verre.
- Concentre toi un peu, si tu fais pas d'effort avant la fin de la semaine, je pourrai pas te prendre!
  Connard de merde.
- Allez, va chercher un balais, je m'occupe des clients.
  Il est presque 20h, Niobé Tan et Matthieu devraient pas tarder, faudrait que ça soit torché en peu de temps. Joue la Cendrillon pendant 5min, se remet à sourire, redevient la petite serveuse joyeuse que les clients aiment bien. Retourne en cuisine, et tombe sur ce con de Thomas.
- Eh, Poe!
  Non, non, fais semblant d'être overbookée, range n'importe quoi n'importe où.
- Ca y est, tu dis plus bonjour?
- Bah non, tu vois bien.
  Ressemble à une matronne espagnole, le torchon dans la main, posée sur la hanche.
- Je t'ai connue plus enthousiasthe.
- Je t'ai connu moins con.
  Tu veux jouer, hein. Ils arrivent, pousse toi.
- Hé, Suz.
  Que je t'explique, c'est pas parce que j'ai été enthousiasthe que ça te donne le droit de me choper par le poignet.
- Thomas, arrête. Laisse tomber, laisse moi passer.
  Faudrait pas qu'il recommence à se faire des idées. Je l'aimais bien au début, j'étais plus Poe, j'étais plus la petite serveuse de merde qu'on bouscule en cuisine, j'y rentrai avec Thomas, c'était plus un petit boulot pour nourrir Niobé. Mais là, c'est devenu les deux, Poe la serveuse de merde qui rentre en cuisine. Non merci. Je te rappellerai, Yann avait dit je te rappellerai. Menteur. Il doit croire que je me passe plus de lui non plus. Pauvre con. Niobé a même pas l'air de vouloir le revoir. Non, ma petite, tu t'installeras pas définitivement chez moi. Je veux pas couette, mes haricots et mon reggae.
  Ramassa ses serpents de cheveux, les compacta et attacha le tout.
  Je suis pas une hippie. Je crois pas en la paix, ni en l'amour. J'essaye pas de réconcilier les peuples. Je marche pieds nus parce que j'aime ça, c'est pas une histoire de vibration dans le sol.
  Arrête de mater mes cheveux toi, tu veux un peu plus de sauce avec ça? Et tu veux que je continue à sourire. un café aussi, non?
Putain.
- Suuuuuz!
  C'est moi.
- Désolée d'être en retard...
  Y a vraiment que le soir où Niobé ressemble à quelque chose. J'avais oublié que Matthieu avait l'air calme avec toi. Y a qu'Hatan qui rattrape le coup, y a que lui qui arrive comme une fleur, et qui dit bonjour comme si ça valait encore la peine de saluer gentiment une amie.
Une amie ouais. Je suis pas l'amie des hommes. Je suis leur pote, je suis leur égal, je suis pas une fille pour eux, du moment que je suis pas à poil, encore un truc de hippie.
Y a qu'Hatan qui s'en est ps aperçu. Qui garde les yeux fermés sur mon statut de pote, et qui pose une main sur mon épaule en me faisant la bise.
- Deux secondes, je vais officiellement passer de personnel à client.
  Thomas a même pas du me voir comme une femme, jamais. Il a posé ses mains sur mes hanches, comme si j'en étais une, mais sans le penser, les yeux fermés, pour avoir l'impression. S'il les ouvrait c'est foutu, envolée, perdue. Poe était à nouveau devant lui. Il a gardé les yeux fermés, et ça a bien du l'arranger, ça a bien du lui plaire de faire semblant.
- Chef, il est 20h30, c'est la fin de mon service, vous permettez?
- No problem Poe.
- Appelez moi Suz, s'il vous plait.
  Poe s'est fait baiser par Thomas, Poe est une serveuse de merde, Poe, c'est le pote.
- C'est pour pas faire de distinction homme/femme, tu sais.
- Oui, justement.
- C'est comme tu veux ma petite.
- Merci Chef, à demain!
- Eh Suz! Je te prépare un contrat?
- Oui, j'aimerais beaucoup.
  Rougis pas, rougis pas.
- Ca marche.


- Jsuis embauchée.
  Cachez votre joie surtout hein.
- En tant que quoi?
- Bah serveuse.
- Wahou.
- T'as l'air contente pour moi.
- Ah mais si si, on est contents.
  Tu risques pas de te rendre compte de ce que c'est que d'avoir un boulot, toi qui fout rien de tes journées, chez moi en plus.
  J'y crois pas, Yann s'en va, pour toi, et tu t'accroches à Matt, comme si ça allait, comme si t'étais pas censée prendre sur toi, et admettre que cette histoire de rembarde derrière le banc c'est des conneries. Yann est à Coubrevoie. Yann n'est pas à Paris, Yann est dans sa banlieue pourrie, SEUL. Yann n'est pas avec une rousse, il n'est pas passé près du resto, innocemment, ce n'était pas Yann. Yann ne téléphone plus. Niobé s'en fout, Niobé s'accroche à Matthieu en attendant que ça passe, en attendant que Yann revienne s'asseoir le matin sur son banc, pour respirer autre chose que de l'encens.
  Ca finit toujours comme ça, Niobé repart toujours avec son pigeon, et avec la voiture, et Suz reste toujours à la traine, à pied, les chaussures trouées, les mains rugueuses et les dreads roulées en boule. Sauf qu'y a Hatan maintenant, à pied, les mains usées par l'archet, et les cheveux en bordel.
- C'est bien que tu sois embauchée.
- Ouais hein.
  Cette fille est pas possible. Elle lève la tête en souriant, répond, et repart dans son silence forcé.
- Ca paye le loyer de Madame, au moins.
- Tu devrais lui en parler.
  Je devrais ouais. Comme je devrais te dire que tu perds ton temps, à t'user les pieds avec moi, je devrais te prévenir, te dire que je suis juste Poe le pote, la serveuse, que si tu veux poser ta main sur tes hanches, tu devras fermer les yeux, que tout ce qu'on pourra faire, c'est être seuls à deux.
- Tu lui en veux?
  De quoi? De voleter avec son ex? De me laisser un loyer sur les bras? De me voler mon 140 pour venir dormir avec moi sur le clic clac? De pas admettre dans sa majestueuse vie que c'est sa faute, et pas juste le karma?
- Oui, beaucoup.
- Faut l'aimer, hein, pour la supporter.
- Ouais, putain, faut vraiment l'aimer.
  Et pas lui dire ce qu'elle devrait faire.
- Tu comptes faire ça toute ta vie?
  Sois clair, merde, toi aussi tu parles par sous entendus?
- Payer le loyer des autres, faire la serveuse, je veux dire.
- T'as quelque chose de mieux à me proposer? C'est pas assez reluisant? Je devrai faire quoi, recommencer la photo, me remettre à danser et me prendre pour casse noisette?
- Tu vaux mieux que ça, c'est tout.
  Tiens donc.
- Personne ne vaut quoi que ce soit.
  Fais pas comme si tu comprenais pas, fais pas comme si t'aimais ce job, comme si tu pensais que la vie, c'est juste ça.
- Si, tu mérites de t'occuper de ta vie, de payer pour toi, pour tes erreurs, pas pour celles de Niobé.
- On est arrivés.

  A la prochaine alors, à bientôt, à très vite. A la prochaine fois où Niobé me prendre par la manche, qu'elle me dira fais un effort Tan, sors un peu, y aura Suz. a chaque fois, j'ai envie de lui dire mais que'est ce que tu crois que ça peut me foutre qu'elle soit là Suzanne, elle va encore lever la tête vers moi en souriant et se taire, elle va encore se bousiller les pieds, je vais la voir s'émietter avec ses godasses, je vais encore la regarder, me suspendre à ses yeux, attendre qu'elle me réponde, sans respirer, et retomber, avec sa tête, et à chaque fois, je pige ce que ça me fait. Parce que si elle levait pas la tête, si elle me répondait pas par monosyllabe, alors que dans sa tête ça grouille de questions qu'elle a envie de poser, et de réponses qu'elle a envie de donner, si elle enfonçait pas ses mains dans les poches de ses vieilles robes, j'aurais plus que Niobé, et Niobé, je la connais, je la connais par coeur, et plus je la connais, moins elle est prévisible, plus elle t'étonne, moins tu t'en étonnes. Y aurait qu'elle et Matthieu, et Matthieu je le connais trop bien aussi, je sais qu'il se sent responsable, parce que c'est lui qui l'a laissée partir, c'est lui qui ne l'a pas retenue, c'est sa faute si elle est avec Yann, alors il doit rester avec elle, parce qu'elle ne sait pas être toute seule, elle ne sait pas dormir toute seule, elle ne sait plus comment ça fait de plus avoir des bras autour de son ventre, alors Matthieu doit jouer à être Yann. Pour un moment. Hatan au milieu, il est juste là pour leur rappeler qu'ils se voilent la face, qu'ils peuvent toujours faire semblant, ça restera toujours aussi ridicule et faux.
Alors Suzie est là.


- Et je prends du pain aussi, nan? Ok, j'te laisse les clés sous les paillasson, bye!
  Elle enfile son pull, attache vaguement ses baskets et claque la porte.
Il est où ce supermarché déjà? Ca fait mille ans que j'y ai pas foutu les pieds. J'aurais du prendre le vélo. Je ressemble à Suzie, dans la rue à 7h alors que c'est à une demie heure de marche. La pauvre, tout le monde pense à elle dès qu'y un malheureux trajet à faire à pieds. Il fait beau, c'est toujours ça de pris.
  Regretta le temps où elle vivait chez Yann, où tout était à côté, le café, le tabac, le marché, le supermarché. Où tout semblait être toute près, plutôt. C'est pas l'envie qui manquait, plus les moyens. Quoique pour un gars qui bosse chez un antiquaire, maqué à une glandeuse, il s'en tirait pas mal. Il s'en est jamais mal tiré. Tant qu'il pouvait critiquer, ça lui allait. Il critique avant d'aimer, toujours. Partout, pour tout, et pour tout le monde. Au fond de lui, ça lui déplait d'aimer direct. Ca le rend faible.
  Quand il reviendra, quand je reviendrai, ça changera pas. il restera lui, je resterai moi, on restera lui et moi. On sera jamais nous, et c'est mieux. D'être deux plutôt qu'un.  On est dépendants, on se suffit, mais on marche à deux. avec Suz, on est nous, on marche, on mange, on danse, on rit ensemble, on est indissociables. Pas avec Yann. Quand il rentrera, et que je reviendrai, je continuerai à rire pendant qu'il gueule, il continuera à m'aimer pendant que je le déteste, il continuera à m'embrasser pendant que je pleure. Lui et moi. Lui. Et moi. Y en aura toujours un des deux à la traîne. Ca me va. Ca me va de marcher derrière lui tout les matin sur la rembarde. Juste qu'il tourne la tête sans me voir, de temps en temps. Il est pas tout seul, là où il est, il peut pas être tout seule, comme je peux pas être toute seule. C'est bien qu'il l'admette. C'est bien qu'il meuble l'espace. J'ai pas à chercher, j'ai Matthieu. J'ai pas hésiter à lui demander. Mais lui, lui il doit chercher, il doit demander, il doit attendre avant de plus dormir tout seul. C'est moi qui suis et partie, et c'est lui qui s'en va, c'est moi qui le hais, mais c'est lui qui s'est fait gueuler dessus. C'est lui qui doit dormir tout seul.
Ca continuera toujours comme ça, on marchera toujours à deux, je partirai toujours, il s'en ira toujours. Quand il rentrera, et que je reviendrai, on aura quelques mois de répis. Je demande pas plus. C'est mieux comme ça.
- Avec ceci?
- Je sais pas, donnez moi une tarte au citron.


  Pas trop d'un coup. Je vais boire la tasse.
- Attends..
  Tiens, ça c'est pour le t'inquiète de la dernière fois, il s'en l'usure pareil. Me fais pas ces yeux là, j'ai pas envie de te faire mon numéro aujourd'hui, j'ai pas envie de t'embobiner, de jouer à ça. Pas tout de suite, pas tant que t'as pas ouvert les yeux pour les refermer.
- Excuse moi.
  enleva ses mains, se recula.
- Nan, attends!
- J'ai compris.
  J'ai compris que t'en voulais pas, demes bras sous ton tee shirt, compris que c'était pas ça, le plan, que ça se déroulait pas comme ça, que c'était pas pour aujourdh'ui. Fais moi juste signe.
- Tan, te vexe pas.
  Non, bien sûr, je vais me mettre à danser en criant de joie Suz me repousse, Suz ne veut pas de moi, Suz veut de moi selon ses plans, Suz voudra de moi dans deux jours!
- Hé..
  Prit ses affaires sur le clic clac, se leva, renifla.
- Arrête!
  S'arrêta.
  Et quoi, tu veux pas que je reste et que je t'écoute te taire aussi? T'as pas l'intention de rattraper les choses, tu sais même pas pourquoi tu veux que je reste, tu sais même pas pourquoi je suis ici, tu sais même pas comment ça a pu arriver.
- Arrête, Tan, arrête!
   BAM.
  Dévala les escaliers, croisa Niobé, ne sourit pas devant son regard plein d'amour.


- Oui?
- C'est Yann.
  Enfin.
- Ca faisait longtemps.
- Je sais, mais depuis que Niobé a répondu, j'ai pas trop osé appeler.
- Quoi ?
- Je sais,c 'est con, mais elle avait l'air vraiment pas bien.
- Quand ça?
- Je sais plus, y a deux semaines.
  La fourbe. Et elle ose me parler de complots. Je rêve.
- Putain.
- Elle t'a pas dit, c'est ça?
- Nan, putain.
  Elle fait celle qui attend des nouvelles, alors qu'elle a déccroché, qu'elle a répondu, qu'elle lui a parlé.
- Elle t'a dit quoi?
- En gros, de plus appeler et d'aller me faire foutre.
- Oh merde.
  Ca va encore faire une discussion sympa ce soir ça.
- J'essayerai de lui en parler. elle vit sa vie, elle dort plus trop à l'appart, elle réfléchit beaucoup en ce moment, je crois.
- Tu vas bien?
- CA peut aller, ouais. Le chef m'a embauchée.
- C'est super!
- Ouais, je peux me reposer un peu, mais ça me va pas trop.
- Je sais.
  Fais pas comme si tu savais, ça fait deux semaines que t'as pas donné de nouvelles, tu m'as jamais vue me reposer.
- T'es toujours à Courbevoie?
- Euh ben oui.
  Menteur.
- Bon Yann, il faut que j'y aille. Merci d'avoir appelé, hésite pas, même si Niobé te recale encore.
- Promis.
- Bye.
  Eut envie d'appeler Hatan, mais non. Il ne répondra pas. Il ne répond pas, il ne veut pas répondre. Il est reparti en tournée avec l'orchestre, de toute façon. Un café et ça ira mieux. Marcher un peu aussi. Garde les yeux ouverts. Toujours les yeux mi clos, les sourcils froncés, à ne voir que la moitié du monde, alors que merde, c'est pas compliqué de se defroisser. Je vois plus rien à force, j'ai beau regarder, je vois rien. Garde les yeux ouverts.
  Personne au café. Par-fait. Mot qu'elle ne pouvait pas employer souvent ces temps ci. Niobé n'était pas parfaite, le resto n'était pas parfait, les revenus n'étaient pas parfait. La vie n'était pas parfaite. Aurait bien aimé se lever, un matin, ouvrir ses gros volets rouges et rouillés, et se dire cette journée est parfaite. Ca la rassura de se contenter d'un café vide.
- Un café s'il vous plait.
  Parfait, parfait, parfait.
Parfat jusqu'à ce que tu voies Tan se pointer comme une fleur, comme d'habitude, et s'asseoir en face de toi.
- Ca va ma grande?
  Je suis petite, toute petite, à côté de toi Tan.
- Moui.
  Une gosse qui essaye de bouder. Ellle triture ses mains, regarde son café, ne lève pas les yeux quand elle parle, elle renifle, elle a froid, elle a plus soif. T'es pas au bout de tes peines, mon brave.
- Tu m'en veux?
- Oui.
- Regarde moi.
  Fais pas ça, Tan. T'as pas réellement envie de te faire du mal avec moi. Fais toi tu raison, tu veux pas de ça.
- Regarde moi.
  Tourna ses yeux déjà pas brillants vers lui. Fronça les sourcils, se sentit muorir et se redressa.
- C'est ça ta vie?
  Leva les yeux, les firents retomber sur le café. Crise de panique.
- Regarde moi, c'est CA ta vie? C'est te poser au café et attendre? tu veux vraiment faire ça? T'as vraiment envie de foutre en l'air tous ceux qui feraient changer ta putain de vie? C'est ça, ton plan, c'est faire vivre Niobé, et dévaster les autres? Fonce pas tête baissée dans le vide, bordel, tu sais même pas où tu vas, tu sais même pas pourquoi tu fais ça! Tu peux toujours lever la tête et sourire, mais tu retombes, tu fais que retomber. Dis moi juste que je suis pas revenu pour rien. J'ai réfléchi, tu sais, j'étais en Russie, et j'ai réfléchi, parce que j'ai eu des propositions, ils m'ont demandé de rester, j'ai dit non, parce que tu peux pas te faire vivre toute seule, tu peux pas faire vivre Niobé toute seule. Tu portes un truc à bout de bras et ça va se péter la gueule, et tu seras toute seule pour ramasser. Elle va pas t'aider et tu le sais. et arrête de pleurer, s'il te plait, Suz, arrête, je suis pas revenu pour te faire pleurer. Allez viens, on y va.
  La passa sous son bras, passa se bout de fleur plein de larmes, pleine de spasmes, qui déglutissait, se frottait les yeux, qui s'accrochait à sa manche, sous tout ce qu'il pouvait lui donner, tellement le reste était flingué.
- Tan..?
Elle va attraper froid, l'enfant à se ballader si courtement vêtue dans son appart gelé.
- Viens.
  Oui mais arrête l'averse, Suz, arrête de pleurer, habille toi, mets toi sous mon bras, sèche toi, frotte toi les yeux, lève la tête, sourit, tais toi, ne dis plus rien.
  Attendit qu'il soit tout près pour lever les yeux, et ne les baissa plus. Alors, c'est toi qui veux plus là? A toi de me regarder, et de te laisser faire.
  C'est toi l'enfant maintenant, c'est toi qui t'y prends sublimement bien, mais t'es trop innocent, ça se voit, ça se lit dans tes yeux fermés, c'est trop généreux, c'est trop parfait. Ca la fait sourire de trouver l'emploi de surface et l'emploi de fond de parfait dans la même journée. Le café vide, Hatan. Hatan partout, Hatan sur ses hanches, Hatan sur ses lèvres, dans ses cheveux, sur son épaule, sur son poignet, au creux de son oreil, derrière sa tête, Hatan qui crie pareil qu'elle. Hatan. Qui s'accroche aux dreads, qui semble même plus respirer, qui a même pas l'air de manquer d'oxygène. Suzanne qui aggrippe ses cheveux à lui, qui se cambre, qui renverse sa tête, qui ne s'arrête plus de pleurer, Suzanne qui mord, qui griffe, qui embrasse un sourire, un oeil, qui embrasse n'importe quoi. Qui ne sait même plus pourquoi elle pleure, qui ne sait même plus pourquoi elle avait peur.
  Le dos étoilé. Tous ses grains de beauté ça lui fait des étoiles dans le dos.
- Comment t'as su que j'étais là?
  Suzanne brise les silences maintenant? Suzanne meuble les silences, Suzanne crie, Suzanne se tait, et Suzanne pose des questions? Sortie de nulle part, n'ayant même pas de réponse valable.
- Tu passe pas vraiment inaperçue.
- Comme si les gens me regardaient. Enfin, bien sûr qu'ils me regardent, mais une fois qu'ils ont pigé que j'ai rien de plus qu'eux, que j'ai strictement rien à leur donner, une fois qu'ils ont gratté toute la surface, ça les intéresse plus.
- Moi ça m'intéresse.
- C'est parce que t'en qu'à gratter la surface pour l'instant.


  Suzie est toujours en retard. C'est ça, de vouloir venir à pied tout le temps, aussi. Suzie est toujours en retard et je me ferais toujours cette remarque : c'est parce qu'elle vient à pied. MAis ça lui plait d'arriver en retard, de se faire désirer, elle fait pas exprès, mais elle aime ça. Parce qu'au bout d'un moment, on arrête de croire qu'elle va venir, et c'est pile à ce moment là qu'elle arrive, qu'elle lève les yeux, et qu'elle s'assied.
- Salut toi!
- Salut ma grande.
  Y a jamais de banalités avec Suz, on passe toujours aux grandes discussions, pas de tu vas bien ou de comment s'est passé ta journée.
- POurquoi tu m'as pas dit que t'avais parlé à Yann?
  Nous y voilà. Après tout ce que je fais pour pas y penser, pour me dire que je l'ai pas envoyé se faire foutre, après toutes les nuits que j'ai passées chez Matthieu pour pas tomber sur lui, tu veux en parler. Tu veux toujours en parler.
- Parce que, je sais pas, je t'en voulais trop de parler avec lui, d'avoir de ses nouvelles et d'aller dans le couloir quand tu déccrochais.
- T'aurais pas voulu entendre parler de lui.
  C'est vrai, mais t'aurais pu essayer, comme tu faisais au début.
- Il va bien?
- oui.
- Il est où?
- Aux dernières nouvelles, dans un hôtel à Courbevoie.
- Il est tout seul?
- Je sais pas.
  Réponds moi vraiment Suz, tu sais qu'il est pas tout seul, tu veux juste pas me dire.
- On a pas parlé de ça, on se parle pas longtemps, juste le temps de savoir comment il va et comment toi tu vas, c'est tout.
  Arrête juste d'arpenter ce putain de couloir, alors.
- Je le perds de vue aussi Niobé, moi aussi j'aimerais qu'il revienne, et je lui en veux d'être parti, tu sais.
- C'est pas pareil.
- Non c'est sûr, mais ça me fait autant chier, ça me demande autant d'effort, et plus de boulot.
- Attends, ça veut dire quoi ça?
- Juste que t'as pas l'air de beaucoup te démener.
- T'es injuste.
- Alors quoi, je dois payer le loyer pour deux et bosser toute la journée avec Thomas qui me méprise, en fermant ma gueule sagement, et en te laissant t'assomer de sommeil toute la journée?
- Cest ça le problème Suz? Tu veux que je le paye ton loyer?
- Notre loyer.
- Et je la trouve où la tune?
- Tu vois, c'est ça le problème, c'est que tu te demandes même pas ce que tu peux faire pour aider les gens. Tu crois que c'est ma vocation, serveuse? Tu crois que tout le monde peut se permettre d'attendre une ouverture pour une carrière prometteuse? T'as même pas envie de m'aider, parce que, c'est vrai, c'est toi qui a claqué la porte, tu t'es même pas fait larguer, d'ailleurs, t'es partie, c'est toi qu'on doit aider, hein ? C'est toi qu'on doit regarder avec des yeux attendris en répétant pauvre gosse, pauvre gosse, c'est ça? C'est pas la pauvre conne qui taffe toute la journée avec des gens qui la détestent, qui s'étouffe tellement tes merdes sont entassées sur les siennes qui est à prendre en considération, c'est clair.
- Va te faire foutre, Poe.
- M'appelle pas comme ça, Derm.
- Tu sais quoi, fais emménager Hatan à ma place, tu seras plus peinarde, à part le violon, il risque pas de faire du bruit, ou de ramener ses merdes.
  Touchée.
- C'est pas la peine d'être méchante.
- Ca fait quoi, un mois que vous êtes ensemble? Ca te ressemble pas de pas presser le pas.
- Et toi ça te ressemble pas d'être une salope.
  C'est ça, va-t-en, retourne à tes problèmes de jeune active, ça me concerne pas. Parce que j'ai toujours tout fait pour que ça me concerne jamais, le boulot, le salaire, le loyer, les courses. C'est pas de mon âge. Ca devrait pas être de mon âge.
  Et toi, connard total dans ta banlieue pourrie, fais moi un signe, bordel, dis moi que t'es là. Comment tu fais pour savoir si je vais bien, si tu reviens jamais? Parle moi, appelle moi, écris moi. Yann, reviens, retourne sur ton banc, dans ton parc pourri, je viendrai avec du café, tu détestes ça, mais j'arriverai avec deux grands cafés. Je te laisse la boutique pour toi tout seul, le dimanche, je viens plus plonger mon nez partout, j'arrête mes conneries. J'essaye d'être moins invivable, je prends du poids, si tu veux, comme ça t'arrêtera de dire que j'ai le ventre trop plat. Reviens, Yann, s'il te plait, j'irai pas mieux tant que tu reviendras pas te poser sur ton banc comme un ours, en te demandant ce que tu vas faire de moi.
  Tu peux juste me laisser par terre, au fond de la boutique, Yann. Ca me va.

 
C'est clair qu'il serait mieux à l'appart. C'est moins sombre. Moins mort.
- Tu veux pas qu'on aille dormir chez moi?
  Est ce que tu vas arrêter de rire quand je te parle, un jour?
- Pourquoi?
- Je sais pas, j'ai trop froid ici, et ça me fait peur. Mais arrête de rire!
- Toi, Suzanne Poe, t'as peur d'un appart mal éclairé?
- Bah oui, c'est glauque.
- Je suis ici depuis six mois, et je suis pas mort.
- Mais t'es con, bien sûr que t'es pas mort, mais j'y peux rien, c'est irrationnel.
- On fait quoi alor? On appelle un taxi?
- On marche.
- Suis-je bête.
  Honnêtement?
  Par contre, ça te fait pas peur de marcher dans la rue à 3h du matin, et me dis pas que tu te sens en sécurité avec moi. Conneries, conneries, conneries. C'est pas moi qui te rend forte, ni insousciante. Moi je te montre juste ce que tu sais faire.
- Elle est revenue Niobé?
- J'ai même pas envie d'en parler.
  Si, si t'as envie d'en parler, t'as juste pas envie de te répandre en plaintes et pathos.
- Hé..
  Quoi, qu'est ce que tu veux? Que je traîne Niobé dans la boue, que je la dégueulasse à mort? Ecoute moi jusqu'au bout alors, pas de t'es injuste, laisse lui une chance ou parle lui.
- Elle a même pas repris ses affaires.
- Tu l'as appelée?
- Non.
- Bah voilà.
- Pour quoi faire, franchement? Elle a aucune envie de faire des efforts, si elle revient, ça sera la même.
- Tu veux pas qu'elle revienne?
- Ca changerait rien, que je sois toute seule ou avec elle, l'espace est le même, j'étouffe.
- Viens dans mon appart glauque.
- Je dormirai pas mieux.
- Ca me va.
- Pas à moi Tan.
  Coulé.
  Ni chaud, ni froid. Le prit comme un ralentisseur, va pas trop vite Tan.
- Excuse moi, le prends pas mal..
- Tinquiète Suzette.
  Passa son bras autour d'elle. Arrivés à l'appart, ils ne dormirent pas mieux.


- Suzanne?
  Où est ce qu'elle est encore, bordel?
- Suuz? Je viens juste cherche mes affaires, je vais aller dormir chez Matth, un peu.. Tu seras peinarde. T'emmerdes pas, tout est éparpillé dans le salon, par terre. Suz?
  D'un coup, de voir toute sa vie, tout son bordel se résumer à un sachet d'encens, une tenture indienne, des tee shirts troués et des gateaux bio, les vannes s'ouvrirent, les genoux amortirent. LE téléphone se retrouva dans ses mains, elle ne se souvenait plus ce qu'elle comptait lui dire, elle ne se souvenait plus comment respirer.
- Oui?
- Yann..
  Même la voix était trempée de larmes.
- Qu'est c'qui s'passe?
- Yann reviens..
  Spasmes, déglutition.
- Reviens, s'il te plait.
- Je peux pas Niobé, je suis pas.. je peux pas.
  Ca sanglotait aigu en s'étouffant.
- S'il te plait..
- Je PEUX pas.
- Je serai jamais prête, s'il te plait.. je trouve un boulot, je paye la moitié du loyer même tout si tu veux. S'il te plaiit Yann.
- ..
- Yann, reviens maintenant, je peux pas, Yann..
- Rappelle moi.
- Yann!
- Je t'aime.
- Yann!
  Crac.
- Yann!
  Je t'aime? Je t'aime, pauvre conne qui va faire tout ce que je lui demande. Je t'aime, toi pathétique et ridicule gosse pourrie gatée qui vit aux crochets des gens qui sont assez cons pour l'aimer. Je t'aime, Niobé Derm, 18 ans, bonne à rien, dans la merde jusqu'au cou, et éperdument dingue de moi, Yann Pluset, 21 ans, antiquaire malaimable à moitié ours, qui s'en va, qui me protège, qui me caresse les cheveux. De loin.
  Pauvre conne. Ca te fait peur d'être heureuse peut-être, hein débile? Ca te fait peur que Suzanne, Hatan, la pharmacienne, Yann et la gynéco ne veuillent que ton bien? Matthieu il compte pas, il est comme moi, il fout rien, il a pas un bon fond, tu peux creuser, il est mauvais. On s'est aimés, il m'a aimée pour deux, ça le fait devenir comme moi. C'est grâce à lui que j'ai rencontré Yann, le jour où on s'est déchirés une fois pour toute, j'ai ouvert la porte vitrée et dégueulasse de la boutique. Un dimanche. Il m'a detestée, il m'a haïe. Et puis je l'ai emmené au Sacré Coeur, la nuit. Et j'ai grandi sous ses mains, j'ai grandi sous ses lèvres, je devai me pencher. Et je suis partie.
  Suzanne m'aimait déjà, elle m'a aimée avant tout le monde, et mieux que tout le monde. Maintenant, Suz me hait, Hatan va venir me remplacer, et Yann m'aime. De loin. De Courbevoie à Montmartre. Quelques minutes de bagnole et une infinité d'amour.
  Je peux pas aller chez Matthieu, la lâcheté ça ira. Bordel, je peux pas aller chez maman non plus. Deux ans qu'on se hurle dessus, deux ans qu'elle m'en veut d'être partie pour Matthieu, ce vieux croque mort tout blanc et sinistre, et Yann, encore pire, il a un boulot de vieux, c'est un vieux prématuré, il aime rien, il critique tout. Je dois tout faire comme il voudrait, un nouvel appart, un nouveau boulot. Mais j'y connais que dalle, j'vais me retrouver dans un clapier. Gâchis.
  Rassembla ses dernières affaires, décidé de dormir chez Matt, juste pour cette nuit. Et, pour une fois, dormit sur la canapé et pas à côté de son corps glacé.

 

  Elle trempa la lame dans l'eau tiède avant de la repasser sur sa joue.
- Atteends, il t'en reste là.
  Doigt baladeur dans le cou. Regarde un instant cet amour de grand enfant, beaucoup trop grand. Puis se détourna. Tu vas vouloir le faire emménager, tu vas vouloir rester, tu vas vouloir ranger ta brosse à dent dans le même verre que lui. Non, non, non.
- Ca va pas?
  Leva la tête en souriant. Ca faisait longtemps.
- Mmh siiiiii.
  Ressembla à un chat, les yeux plissés, le dos cambré et les bras tendus devant.
  Je peux supporter la vision de deux brosses à dents côte à côte, je peux pas admettre que c'est les nôtres et qu'elles sont là parce que nous aussi, on est là, côte à côte.
- Elle est toujours en colo Niobé?
- Ouais, elle rentre dimanche, faut que j'aille la chercher à la gare.
- Elle s'installe tout seule?
- Je crois ouais, elle m'a payé ses 5mois de loyer et elle dort plus chez Matthieu... Niobé qui bosse.. ce fut une année riche en rebondissements cher ami.
- N'est ce pas?
  Le baisemain se transforme en attaque, vole de partout, des cris, des éclats de rire, le bol d'eau tiède et mousseux qui se renverse.


- Niobé..
  Silence, mordillement de manche.
- Niobéééé...
  La lumière ne s'allume pas, mais ça bouge sous la couette.
- Quoi ma puce?
- J'arrive pas à dormir.
  Se tourne vers Simon qui dort à côté d'elle. Semble dormir.
- Elles dorment les filles de ta chambre?
- Oui. Y a que moi qui dort pas du couloir.
- Bon, viens là. Entre Sim et moi, voilà. Maintenant tu fais un gros dodo, d'accord?
  Liselotte. La petite, la minus, la bouc émissaire de la colo. A peine un mètre vingt cinq, des bouclettes à la vanille et des grosses lunettes rouges. Parle avec une toute petite voix, et deux grands yeux surpris. Suzanne petite. N'arrive jamais à dormir.
- Pourquoi tu dors avec Simon?
  Parce que moi non plus, je peux pas dormir toute seule. J'ai cinq ans et demi, je bouffe mes manches et je dors jamais toute seule.
- Parce qu'y avait plus de place nulle part.
- C'est ton amoureux?
- Ma chérie, c'est plus compliqué que ça.
- C'est nul.
  Je sais. Mais qu'est ce que tu veux, Liselotte, qu'est ce que je dois faire?
- Mais Simon il est gentil..
- Tu sais Lisou, il suffit pas d'être gentil parfois.
  Voilà qu'elle se met à réfléchir en fronçant les sourcils. Pauvre petite.
- Oui mais il est gentil et en plus il est fort, et beau.
- Je sais, ma puce. Allez dors, demain on fait camping, on se lève tôt.
  Les enfants s'endorment trop vite. J'ai jamais réussi à m'endormir, même à cinq ans et demi.
- Je sais que t'as entendu Sim.
- Dors Niobé.
  La famille parfaite. Papa enroule maman dans ses bras, bébé s'accroche à papa, maman s'accroche à bébé. Maman a peur, papa est lucide, et bébé comprend trop bien.
  A 17 ans on se tape pas la deuxième mono sans rien attendre en retour. Il nous voit surement ensemble. Il est pas bête, il a la tête sur les épaules, il a pas l'air d'être du genre engagement. Il faudra qu'on parle. Merde, je vais dormir toute seule. Pour deux nuits. Trouver un appart près de chez Suz. Aller chercher Yann à la gare.
  Je m'en suis sortie. Niobé Derm a trouvé un boulot. Toute seule. Niobé Derm ne s'est pas mal demerdée en cinq mois, elle a passé le BAFA, elle est partie trois fois en colonies, a deserté le 140 de Suzanne Poe, qui, elle, a recommencé à s'emmêler avec un pauvre garçon, mon frère presque. Mais Yann ne revient pas. Il me reste un truc à faire, alors?


- T'es où?
- Cat'avancerait à quoi?
- Deconne pas Suz, dis moi où t'es.
- Arrête, ça sert à rien.
- Bordel, c'est quoi le problème là?
- Y a pas de problème, c'est juste que c'est pas possible, c'est pas contre toi, je peux pas...
- Mais reviens alors.
- Non.
- Suzanne, putain!
- Bye.
  Cette fille est pas possible. Elle a décidé que c'était comme ça, mort, pas possible, caput. Elle s'est réveillée, elle a attaché ses cheveux, elle m'a juste laissé voir son dos, et elle s'est barrée. M'a laissé son pseudo pull, comme ça, pour me dire qu'elle pouvait pas faire mieux, qu'elle pouvait juste s'en aller et me laisser de quoi respirer son odeur, et que ça reprendrait. J'ai rien de mieux à t'aoffrir, rien de mieux à te donner Tan. Je demande pas plus. Est ce que je lui ai demandé plus? J'ai sous entendu une cohabitation. Putain, ça compte pas les sous entendus. Ma tricheuse est partie, y a quatre jours elle me rasait, collée dans mon deux. C'est là qu'elle a commencé à déconner. Putain de merde, je viens de me taper une tournée en Suède, je rentre, on fait l'amour dans l'eau tière, et elle commence à prendre en compte mes sous entendus. Tan, t'es nul de croire qu'il y avait des règles. Nul de pas t'être réveillé pour la regarder dormir.
  Passa sa main dans ses cheveux, prit l'archet posé sur la télé, et ressortit le vieux machin moisi de sa boite, pour la première fois depuis deux semaines.



- Tadaaam!
  Lambeaux de papier peint, fauteuil défoncé et matelas collé au mur.
- Cache ta joie, pour l'instant ça ressemble à rien mais ça va venir!
- C'est super Niobé...
- Ca va pas ?
- Si si, je suis super fière de toi, vraiment, super fière de voir que tu t'en sors super bien.
  Niobé, ça fait trop longtemps que je t'avais pas vue rougir comme ça, longtemps que t'avais pas attaché tes cheveux, et mis le papillon que je t'ai offert dessus.
- J'ai quitté Hatan.
  Longtemps que j'avais pas vu ce sourire maternel et cette main que tu mets sur ma joue.
- Je pouvais pas, je sais pas, j'étais bien avec lui, trop bien même, mais je pouvais pas nous voir ensemble encore longtemps. Il était pas sûr lui non plus, je crois.
- Il était sûr.
- C'est as ça le problème. J'avais envie, j'ai essayé, mais j'avais pas envie de me forcer à le vouloir. C'est cette vision de la couette deux places là. Rha.
- Tu veux pas dormir ici ce soir?
- T'exagères..
- Allez..
- Niobé.. je bosse demain, à 7h30, et on est encore plus loin du resto là.
- S'il te plait..
- Mais oui, je vais dormir avec toi, mais comprends un peu, t'es chiante.
- Mais Yann veut pas revenir! Je l'appelle à chaque fois que je fais ce qu'il m'a ddemandé, le boulot, l'appart, la réconciliation avec toi, mais il reste à Courbevoie. J'ai l'impression que si je dors toute seule, c'est que je vais m'habituer. Ca voudrait dire qu'il va pas revenir, et s'il revient pas, je pourrai plus dormir. J'ai pas envie de m'habituer. Cercle vicieux!
- C'est pour ça que tu es revenue me voir? Parce que Yann te l'a demandé?
- Mais non, putain, tu piges rien..
- Je pourrai jamais dormir ici, et le chef va vraiment péter un cable, il m'a fait un caca nerveux quand je me suis ramassée à cause de ce connard de Thomas qui passe en coup de vent, alors si je m'endors entre deux commandes, putain,je vais me faire fouetter.
  T'es maso Suz, de toute façon, tu te casses la gueule, t'en redemandes, t'es couverte de morsures et ça te fait rire. Alors le fouet, oh oui!
- On va manger dehors, nan ?
- Je me change, j'arrive.
  E.T a cette manie de disparaitre, chiffonnée et débraillée, et de ressurgir, toujours aussi brouillonne, mais tellement plus sortable. Passage d'ouvrière tachée à jeune fan de jazz, un peu dock, un peu prune sur les bords.

- Et les enfants, ils étaient comment?
- Ben adorables, y a toujours des fouteurs de merde, mais ils étaient trop chous.
- Et les autres monos?
  Merde. Me force pas à te décevoir, Suz, on en est même pas au dessert, et tu provoques la tempête.
- Sympas aussi.
- Et.. ?
- Et j'ai couché avec le plus jeune.
  Ca y est, ta fourchette reste en l'air; tu vas me la planter dans l'oeil en hurlant tricheuuuuuuuuse, et ça sera encore pire, de te décevoir toi, après avoir déçu Liselotte. C'est toi qui va me regarder, y aura que du vide dans tes yeux, et ça dira pauvre conne, tu me fais de la peine, t'as vraiment rien compris. Ca m'apprendra, TOUJOURS attendre le dessert, je sais, mais c'est toi qui a soufflé sur les braises.
- Quoi ?
- J'étais toute seule, je pouvais pas dormir toute seule, ça me fait trop peur, et puis franchement si tu l'avais vu..
- Je m'en fous Niobé.
- Déconne pas, me juge pas.
- Tu fais ce que tu veux. Tu veux que je te dise quoi? C'est bien, Niobé, vas-y, continue à tout faire de travers. Désolée.
- T'as l'air hyper désolée.
  Allez, commande ta crème brûlée, s'il te plait, qu'on en finisse, que tu lpantes ta cuillère dans le caramel comme si c'était moi à la place, et que je tremble, en fuyant ton regard.
- Et Yann ?
- Quoi Yann ?
- Tu vas lui dire quoi?
- Mais il va jamais revenir Yann, t'as pas compris encore? Il a fait tout ça pour que j'apprenne à me débrouiller sans lui, pour que jme retrouve pas chez toi, à te opurrie jusqu'à ce que je trouve un autre gars à étouffer. Il a compris, après s'être installé à Courbevoie, que c'était lui qui devait faire ça, sinon j'y arriverai jamais. Sinon personne ferait ça pour moi, c'était lui ou rien. Arrête avec Yann, il s'en fout, ou il ne veut plus s'en occuper. Il va pas revenir.
  Deux crème brûlée s'il vous plait.



  Deux gosses qui s'inventent un monde pour la nuit. Niobé et Suzanne qui se barricadent derrière moult matelas, coussins et autres. Soldats Derm et Poe de garde cette nuit. Derm finit par s'endormir à force de pleurs, d'engueulades et de spasmes, plus de batterie. Poe finit par se lever, tourne en rond deux minutes, et finit par fouiller dans le bordel de son sac, pour trouver les lames de rasoir encore pleines des cheveux de Tan.
- Je suis pas une hippie. Je crois pas en la paix, ni en l'amour. Je veux pas réconcilier les pauples, parce que quand j'essaye, c'est pire.

  Ca a pris le temps d'un on peut se voir?
- Qu'est ce que t'as fait à tes cheveux?
  Ah non, j'ai dit oui pour qu'on se voit, pas pour entendre tes questions de grand frère.
- Suz?
- A ton avis?
- Pourquoi t'as fait ça ?
- Qu'est ce que ça peut te foutre?
  Commence pas à jeter des bombes, ma grande. Laisse lui le temps.
- J'en avais marre que tout le monde me prenne pour le punching ball a cause de ces dreads de merde qui me collaient une étiquettes de meuf relax.
- C'est clair que rasée tu tu fais plus évadée de prison que relax..
- Ferme la.
  Cessez le geu, on a dit. T'es bouchée Suz? T'es trouée, rebouchée, rapiécée, recousue de partout.
- Excuse moi.
  Tu cicatrises vite, quand même. Un peu de café, un paquet de clope, une crème brûlée et oubliée la plaie sanglante.
- Qu'est ce qui t'a pris, putain?
  Un qui semble pas cicatriser, c'est Tan. Décousu.
- Mais jviens de te dire que l'image d'hippie me..
- De partir.
- Oh.
  Oui mais si tu commences comme ça, les points de suture vont lacher, le vase va déborder, ça va couler, saigner, baver, dégouliner, se répandre et coller de partout, on va s'engluer dans tout cette merde, on sera emmerdés. S'il tep lait, fais pas ça.
- Suzanne.
- Oui.
- Pourquoi t'es partie?
- Arrête, Tan, t'as pas envie de savoir.
- Dis moi.
- Non.
  Tu peux tout essayer, Tan, tu peux me faire ces yeux d'enfant, m'embrasser comme un dieu, me serrer comme une dingue et me faire crier comme une folle, ça marchera pas.
- Reviens alors.
- Revenir où ? Je suis là, je suis devant toi, je te parle, j'y mets de la bonne volonté, je souris, quand même, mais putain où est ce que tu veux que je revienne, et dis moi d'abord d'où je suis partie ?
- Tu comprends rien Suz. T'as rien compris, depuis le début, et tu t'es jamais, JAMAIS demandé ce que moi j'avais envie de faire avec toi.
- Et tu veux faire quoi? Tu veux qu'on s'achète une petite baraque tordue à Montmartre, ou ailleurs? Qu'on ait un vrai lit double? Une couette deux plavs aussi? Un ou deux gosses, avec un chien pendant que t'y es hein. Et tu veux pas un verre à brosse à dents dans la salle de bain en plus de ça ?
  Un enfant blessé. Qui a posé son café, qui écoute des deux oreilles et qui attend le prochaine attaque.
- J'ai même pas 20 ans, Tan, même pas 20 ans, même pas un vrai métier, même pas un vrai chez moi, j'ai pas la télé, pas de lave vaisselle, pas de tapis de bain. j'en veux pas de ta brosse à dent moisie et de ton chien qui pue.
  L'enfant à passé sa main dans ses cheveux façon tu m'emmerdes.
- Je crois pas t'avoir demandé ça. J'ai pas beaucoup plus de 20 ans non plus, et de toute façon je suis allergique aux chiens. T'as un demi métier, moi j'en ai pas, zéro. J'ai mon vieil orchestre qui joue que dans des pays où on se gèle les miches devant trois pauvres russes déchirés à la vodka. Me fais pas un discours sur ton avenir, j'en veux pas non plus. Juste que t'arrêtes de croire que je t'idéalise.
  Les enfants sont lucides. Et direct.
- J'ai gratté le fond aussi. Je te prends pas pour une miraculée qui porte tout sur son dos sans se plaindre, je crois pas que tu sois généreuse au point d'accepter tout ce que te fait subir Niobé, je commence à te connaitre, Suz, arrête de me prendre pour un gosse.
- Tu es un gosse Tan.
  Fais toi une raison.
- T'aimes vraiment pas, comme ça?
  Se frotta les cheveux en fronçant les sourcils.
- Je peux faire un effort.
- Brave garçon.
- Tu vas revenir alors?
- Je suis là, je t'ai dit.
- Pars pas alors.
- Pas pour l'instant.
  C'est pas rassurant, Suz, ça a rien de réconfortant, je vais pas mieux dormir la nuit, je vais plus m'arrêter d'user mon talent, je vais recommencer à fumer pour la 5ème fois, parce que pour l'instant ça veut dire que je te donne pas l'envie de rester pour toujours. Je te veux pour toujours l'instant, et plus tard on verra. toi tu veux de moi pour l'instant et ça sera pas pour toujours, tu seras toujours là par dépit.
- Fais pas cette tête.. viens on rentre.
  Et l'horrible inceste de la mère et de son fils noua encore ses vices dans la moiteur de l'appart déserté.
  Des têtes renversées de plaisir, des lèvres grandes ouvertes, des ongles qui griffent, des dents qui mordent, le délice de la souffrance imprimée sur la peau. Mais plus de prise, cette fois, plus de petit bout de chair à pincer, elle a trop maigri, plus de serpent à aggriper, plus de sourire à embrasser. Juste des cris, un enfant qui grandi sous les mains de la grande femme qui rajeunit, qui s'accroche, qui se colle, qui crie, toujours étonnée par ses mains qui lui trouent le dos, une adolescente qui cache son jeu, qui passe au dessus pour fini, la fille qui voudrait mourir tellement ça lui perfore les poumon, le coeur, la gorge, le cerveau. Tellement ça la bousille de partout, tellement ça la répare juste après.
  Et l'enfant,, l'enfant qui plonge la tête dans un cou, qui gronde, qui fait peur d'un coup, qui plaque un poignet, embrasse un ventr'e, qui voudrait dire à la vraie enfant de l'histoire, parce que c'est elle, qu'elle ne doit pas dérouler ses jambes, qu'elle doit rester comme ça, suspendue, accrochée, qu'il la porterait autant qu'il pourrait.
  Et enfin, le dos constellé, éternel tableau de la fin, perlant de sueur, la nuque dégagée, et la voie lactée, qu'il effleure du bout des ongles, et qu'il savoure; il savoure la cambrure qui rugit quand il passe son doigt, le savant, celui qui connait toutes les notes, tous les tons.
- Pour l'instant, c'est jusqu'à quand?
- Ferme la.



  Le réveil en accordéon. Je connais. Dimanche matin, trop tôt, quand la nuit est trop remplie, et que je me lève en m'étirant, en me crispant de partout. Même après 2-3 clopes et un café, ça passe pas. Je connais trop bien. Yann me dépliait en m'embrassant sur le front, en fermant les yeux longtemps et en inspirant. Il faisait durer le matin, il refaisait du café, il allait racheter des cigarettes, il allait me recoucher, et les draps étaient tous pliés, on se frayait un chemin dans toutes ces tranchées, on se rendormait tous recroquevillés au bout du lit, il me serrait fort et je souriais sans faire de bruit.  Il n'a pas appelé depuis un mois. Ca lui ressemblerait de pas revenir, de me laisser toute seule dans les plis du lit. Il a du croire que j m'en fous, comme la plupart du temps. Mais il m'aime. C'est con à dire, mais il m'aime. Pas parce qu'il l'a dit au téléphone, ça respirait le dernier espoir, le mot auquel on s'accroche. Non, juste parce qu'il ne reviendra pas. Il va revenir à Paris, mais ne sera plus jamais deux. On sera ensemble de loi, d'un quai de métro à l'autre, on sera toujours lui et moi, parce qu'on efface pas des matins pliés en quarante comme ça, mais nous, on, ça n'existe plus. On peut aimer plusieurs personne, j'en suis sûre. Deux personnes très différentes, surtout. On peut aimer, se dire que ça passera jamais, tellement c'est beau et chaud, et puis un jour, s'en détacher. S'il ne revient pas, ça mettra du temps, beaucoup de temps, pas ça passera. S'aimer c'est pas s'aimer pour toujours. C'est juste s'aimer le matin, avec le lever du soleil, ou au déjeuner, entre deux tomates. Ou 12h sur 24. S'il revient je l'aimerai encore pour un moment. Tout va bien.
  Ca va vite se péter la gueule, je suis lucide, ou j'essaye, et tout va bien.
- T'es levée depuis longtemps.
- Non, 5min.
  A toi de te déplier, mon petit, à toi de connaitre les joies de la pensée matinale. Je te laisse tout ça entre le café et mon paquet éventré, là, juste sous ton doigt.
- Tu sais que, techniquement, c'est un délit qu'on commet?
- Quoi ?
- Ben ouais, t'es majeure et pas moi.
- Et t'étais tout sauf consentant, c'est vrai.
  Ca faisait deux points dorés. Deux têtes blondes et enmêlées, qui se renversaient, se rapprochaient, se collaient. Deux papillons jaune qui se touchaient du bout de l'aile et s'écartaient trop vite.
- Niobé..
- Oui?
- Quand il reviendra ton mec, on fera quoi ?
- Il reviendra pas.
  Alors quoi, c'est sûr? T'as décidé qu'il reviendrait pas? T'as oublié qu'il t'aimait, et te connaissait par coeur, même de loin, Niobé Derm?
- Mais s'il revient?
- On verra.
  Arrête de sous estimer ce pauvre gosse, il a tout mieux compris que toi. Toutes les questions qu'il voudrait te poser mais qu'il tait, tu peux lire tout ça sur son visage.
  Oui je l'aime encore, oui, ça va passer, oui, je suis sûre, non tu n'es pas un plan cul, non je te trouve pas trop jeune pour moi, et bien sûr, bien sûr sur si Yann revient, je lui dirai tout.
- Tu fais quoi en dehors des colos?
- Rien et toi ?
- J'aide omn oncle, il est forgeron. Ca paye l'appart.
- Tu vis plus chez tes parents?
- Non, ils sont séparés, et ya trop d'enfants des deux côté, et comme j'suis l'aîné, je suis parti m'installer à Paris.
- Oh.
  Les grands silence de balcon du dimanche matin, gout café, parfum clope, avec bonus amertume et pollution.
- T'as des nouvelles des petits?
- Liselotte m'a écrit, je vois avoir la lettre dans mon froc, attends.
  Trifouillage et papier rose bonbon dans les mains.
- Tiens, lis la.
- T'es sûr?
- Vas-y.
  Des fleurs dans les coins de la page.


  Très cher Simon,
Papa et maman ont dit que l'année prochaine je retournerai en colonie parce que j'avais bien aimé et que comme ça ils pouvaient partir tous les deux. J'espère que tu seras un des monos, parce que j'ai pas envie de connaitre personne comme cette année. Je voulais écrire à Niobé, mais elle m'a pas donné son adresse. J'ai pas compris quand elle m'a dit qu'elle habitait pas chez elle. Si vous êtes amoureux, tu pourras lui dire de m'écrire ? Elle est belle Niobé, en plus elle est gentille, t'as de la chance si c'est ton amoureuse. Quand je serai grande j'aimereai bien avoir un Simon à moi.
Gros Bisous, et peut être à l'année prochaine.

  Liselotte.
PS: J'espère que la bracelet est à ta taille.


- Elle est mimi... elle t'a fait un bracelet?
- Ouais, il est beaucoup trop petit.
- J'adore cette gosse.
  J'adore sa façon de venir mettre sa petite tête bouclée sous mon bras et de me dire " Oui mais Simon, en plus il est beau et fort".
  Il est beau, il est trop beau, il a plein de d"fauts, plein de petits défauts, il est fort, il me serre fort, il rit fort, et Liselotte est littéralement amoureuse de lui. Je m'appelle Niobé Derm, j'ai 5 ans et demi, et je couche avec le prince charmant de la petite dernière. Voleuse de mari. Tu fais fuir le tien et tu voles celui des autres.
  J'ai les mains qui tremblent parce que je vois Yann et Liselotte, côte à côte, déçus, façon j'ai tout compris Niobé, on a tout compris, ça a mis du temps, comme d'hab, mais on sait tout maintenant.
  Niobé, grande imposture parisienne.
  Niobé, experte en monologue intérieurs, grande amatrice de pathos, de larmes, de cris et de pleurs.
  Niobé, accordéon au café du dimanche matin.



- Oui ?
- C'est moi.
- Comment tu vas?
- Ca va.. et toi ?
- Pas trop mal.
- Ecoute, jvoulais te dire..
- Je sais, c'est bon.
- Tu sais quoi ?
- Je sais que tu vas pas revenir.
- C'est pas ça, c'est pas sûr, c'est mieux, j'ai envie de revenir, mais ça va revenir, toute cette merde, tu vas encore partir et ça me fait chier.
- Jte fais confiance, c'est toi qui sais ce qui est mieux ou pire.
- Mais non, dis moi ce que tu en pesnes.
- Si tu reviens ce sera pareil ouais, mais c'est comme ça que j'aimais la vie, mais si tu reviens pas, ça ira aussi, parce que tu m'as appris de loin comment faire, et j'aimerai  la vie autrement, avec quelqu'un d'autre, ou juste avec moi. C'est toi qui sais ce qui est mieux.
- ...
- Salut Yann.
- ...
- Merci.
 


Les enfants qui reçoivent des lettres commencent toujours par se poser des questions. C'est qui, pourquoic c'est jamais écrit au dos, c'est quelqu'un qui m'aime, c'est une erreur peut être, ou c'est le père noël ? ILs déchirent toujours l'enveloppe, trop vite, et relisent toujours la lettre 4 fois, pour s'imprégner.

Liselotte chérie,
Simon m'a dit que tu avais voulu m'écrire, ça me fait très plaisir. Je fais une colo à la Toussaint (les vacances en octobre, demande à maman!) demande à tes parents de t'inscrire! Simon sait pas encore s'il y sera, mais il a très envie de te voir aussi. Tu nous manques beaucoup ma puce.
  Tu sais, je t'ai dit que tout était compliqué, mais c'est pas vrai. Tout est simple, Lisou, tout est simple si tu sais qui tu es. Et tu sais, tu es la plus jolie petite fille du monde. Et j'espère que totu sera simple pour toi.

  A tout bientôt, j'espère, plein de bisous et d'amour.
  Niobé.


  C'était pas écrit au dos, mais c'est une vraie lettre d'amour. Pff mon pauvre père noël, retourne te coucher.


- Deux cafés, une pêche melba et l'addition pour la 4!
  A noël, y a toujours plus dem onde. Ce qui est bien c'est que les gens viennent seuls et repartent à plusieurs. Ca fait plus de place, des additions regroupées et de la chaleur, partout partout dans le resto.
  Le chef prend son air de vieil ours, mais il a envie de nous prendre tous dans ses gros bras en larmoyant. Thomas a l'air de retrouver une paix intérieure ce qui facilite nos rapports purement amicaux. Et comme à chaque noël, Niobé va faire son entrée, en tête de meute en criant Poooooe! On va encore passer le début de soirée ici, on va manger des crèmes brûlées, ensuite on marchera jusqu'à ce qu'on entendre du bruit, et là, on sonnera, on entrera, et on se retrouvera en taxi à 7h, direction home, du vomi plein les cheveux et un fou rire indélébile.
  Mais cette fois, y aura pas Yann pour nous tenir par le bras. On était 3, on était pas 2+1, on traversait au feu rouge en nous tirant par les cheveux. Non cette année, on aura Hatan, et Simon, peut être. On sera 4, 1+1+1+1, et ça fera plus de bras à tenir et plus de cheveux à tirer.
- Poooooooooooe!
  C'est reparti.

- LA!
  Nos mains sont trop habituées à frapper chez des inconnus, on hésite plus à entreer, on sourit plus timidement, pas de présentations, pas de questions type où sont les toilettes, on peut fumer à l'intérieur? Direction salon, on est déjà collés à d'autres squatteurs.
  Cette année, nos victimes sont plutôt friquées, 16° quoi, l'appart est blanc et design, le grand balcon overfull de minettes en robe Zadig, parfumées au Chanel et maquillées au Dior, qui se laissent souffler dans le cou par les mêmes minets parfumés à l'Armani. Le tout complètement déchiré. On arrive au bon moment.
  Ca sent, comme toujours, la main balladeuse, les regards en coin, parce que trève ne veut pas dire baisade dans les toilettes par un bellâtre en col V.
  Mais là, quand je vois cette magnifique rousse, à l'air anglais, au bras de ce grand brun qui marche courbé, ça me revient. Ce n'était pas Yann, devant le resto, il y a 6mois.
- Tu connais pas un Yann ?
  Pas regard étonné genre c'est qui cette beatnik rasée.
- C'est mon frère, pourquoi?
- J'suis une amie de Niobé..
- Ah! elle est là ?
- Ouais, sur le balcon.
- Elle va bien?
- Euh oui, ça va.. Dis moi, t'as des nouvelles de Yann, je suppose?
- A peu près, je passe le voir de temps en temps, je l'aide un peu.
- Il va bien?
- Relativement. Le déménagement ça le crève, alors..
- Le déménagement?
- Ben il part à Londres.. Oh putain de merde! Tu savais pas ?
  Yann à Londres. Yann quitte la France. Yanni quitte la France, quitte Paris, quitte l'appart, quitte son boulot, me quitte, quitte Niobé. Yann est un égoïste, qui se casse sans nous prendre par la manche, sans nous chuchoter ça va aller les filles, sans nous embrasser sur le front, sans nous border, sans laisser de mot sur le congélateur. Yann nous laisse nous endormir toute seule, sans laisse la lumière du couloir allumée.
  Traître, connard, hypocrite, menteur, enfoiré, assassin, salaud, pauvre con.
  Niobé va sauter du balcon, Simon va se rendre compte qu'il n'a rien à faire ici, qu'il a hérité de deux pauvres orphelines, Hatan va me retenir et je vais le frapper, et Yann sera à Londres.
- Il t'a pas dit?
- Attends, excuse moi, je vais gerber.


  Je te vomis Yann, je te dégueule, tu n'existes plus, tu es mort, tu n'es qu'un petit enculé d'antiquaire, je te gerbe, il ne reste plus rien de toi. Je suis lavée.
  C'est pas toi qui m'aurais tenu les cheveux comme Tan, c'est pas toi qui m'aurais portée jusqu'à l'appart, c'est pas toi qui serais restée à côté de moi toute la nuit, à me caresser la joue. Tu m'aurais mise dans un taxi et tu serais resté avec Niobé, tu lui aurais dit de pas s'inquiéter pour moi, et j'aurais pas trouvé ça dégueu, puisque c'était toi et elle, même si on était 3.
  Je suis lavée, tu n'existes plus, tu n'as jamais existé, JE n'ai jamais existé, tout ce que tu voulais c'était un vrai lien avec elle, et c'était moi. l'amie assez conne pour venir à chaque fois. Je te vomis, tu n'es plus là, tu n'as jamais été là, Hatan est là, lui, Hatan a dit à Niobé que j'avais trop bu, Hatan a protégé Niobé, pas pour un lien de merde, parce qu'il sait que quand on est 4 on est pas 2+2. Elle a pas besoin de savoir à quel point tu es misérablement con. Je lui dirai que tu es mort, que tu n'existes plus, qu'où que tu sois, ça ne compte pas, ça ne compte plus, t'es plus dans l'histoire, je te gerbe, tu sors, t'es sorti, t'es parti, t'es plus là.
  Personne ne va te pleurer, tu ne vas manquer à personne, on va juste te cracher, on va te vomir, on va se purger de toi, ça va prendre le temps qu'il faudra, mais tu ne nous encrasseras plus.
- Pleure pas Suz.
  Heureusement, on aura des bras pour s'accrocher, on aura des lèvres à embrasser, heureusement on aura Tan et Simon, pour être à deux la nuit.
- Je pleure pas.
- C'est quoi ça ?
  Heureusement qu'on aura des mains pour effleurer nos joues, pour te balayer, pour boire le peu de mots qu'on dira.
- Du dégout.
- Perds pas ton temps à le détester.
  Heureusement qu'on aura des hommes plus sages pour nous dire par où passer.
  Ca prendra du temps, ça nous fera courir d'un appart à l'autre, ça nous fera une vie à quatre, ou à trois, quand Simon en aura marre de jouer au papa et à la maman , ça nous usera la salive, ça usera le talent de Tan, ça nous fera des paquets et des paquets de clopes, on s'accrochera très fort aux cheveux de nos hommes, on dormira plus tellment, ça sera dur, tu le sais, mais une fois qu'on aura tout recraché, qu'on t'aura vomi jusqu'à la dernière goutte, qu'il n'en restera pas une miette sur nos cheveux, sur nos manches, une fois que ton gout dégueulasse, ou plutôt le gout dégueulasse de ta fin aura deserté notre langue, ce jour là, ça ira.
  Niobé remettra sa jupe à fleur orange, on se reprendra par la manche. La vie continuera Yann, mes cheveux repousseront et la vie va continuer, t'as rien fait de plus que te foutre de nous, il nous faut juste le temps que ça passe, que ça finisse de se déverser tout seul. On t'accordera pas plus de temps qu'une digestion difficile.
  On va te vomir pendant quelques semaines, et ça ira.
  Au prochaine Noël, on sera quatre, ou trois, ou même deux, on se tirera par les cheveux, et dans le taxi qui nous ramènera, ce sera pas toi, ce sera pas les restes de ta dégueulasse petite vie q'on aura dans les cheveux, ce sera de l'ivresse, on sera heureuses Yann, parce que si on l'a été avec toi, on le sera encore plus maintenant que tu es passé.
  Tu nous as gâché un 24 décembre, pauvre con, et un 24, c'est trop.
  J'attendrai la meute au resto, le Chef nous prendra enfin dans ses bras,  tout sera chaud, les gens se rassembleront, et tout le monde se taira quand Niobé entrera.



( Après on verra juste Suzanne et Hatan, de loi. Simon est resté. Niobé travaille dans une boutique de boutons.)


Photo de Flavie Brizard.


Publicité
Publicité
Commentaires
A
Ca fait une heure que je lis cet article. Je crois qu'il y avait un début autre part, mais je ne l'ai pas lu (ou alors ya longtemps). Tant pis.<br /> Je crois pas qu'il y a des mots pour décrire. J'ai adoré ce texte, ça doit être ça. Louve, t'es douée. Mon jugement n'a surement pas beaucoup de valeur. Mais, je suis passée d'adossée à mon radiateur à sur mon lit et je n'ai jamais détaché (ou presque) les yeux de l'écran. Et j'ai vraiment trouvé ce texte beau. Vraiment.<br /> Je t'embrasse.
Publicité