Il était toujours dans la cuisine quand je me réveillais. Il buvait du café et fumait, il avait les yeux rouges. Quand j'arrivais il sortait une deuxième tasse et se rasseyait. En général on parlait de gosses ou de souvenirs, ça partait de rien, comme souvent, comme pour tout, et ça finissait sur des grands débats. Il était intelligent. Une de ces intelligences qu'on garde pour soi, qu'on cache sous son grand manteau. Je croyais être la seule à y avoir droit, c'est ça qui me plaisait. J'aimais être la confidente des hommes, j'ai toujours aimé ça, croire que seule moi les connaissait. Je regardais leurs copnes, leur souriais parfois, mais j'avais envie de leur tirer les cheveux en criant tu ne sais pas qui il est pauvre conne, moi je sais, c'est moi qu'il appelle quand il est paumé, il me dit pas qu'il m'aime, c'est certain, mais je peux dormir à côté de lui sans qu'il pense à mon cul. J'aimais ça, cette absence de désir, changer de tee shirt devant eux et dormir en culotte.
Je ne couchais jamais avec ces hommes là. Je choisissais des types un peu débiles, orgueilleux et calculateurs. Avec un nom intelligent, pour rattraper le coup, un nom poétique avec une histoire. J'aimais le contraste entre leur tête et leur nom.
Il faisait partie des intouchables, des hommes qui riaient, qui me donnaient des surnoms, qui touchaient mes cheveux et me parlaient de leur mère. J'étais sa petite chose, il me gardait près de lui, il venait me chercher quand j'étais trop défoncée pour me rappeler où j'étais, il me serrait contre lui quand j'étais en crise, il me changeait et me mettait au lit. Il n'avait pas envie de moi. Je me réveillais et il sortait une tasse. On fumait, un peu de tout, on buvait, on allumait la télé et on se rendormait.
Ca aurait pu continuer si son frère avait pas commencé à déconner. Son frère, c'est celui qui me baisait, et me voir en sous tif avec son frangin, il a pas trop aimé.
Ca aurait marché si ma seule raison de voir ce connard et de le laisser me frapper et me tirer les cheveux, c'était pas ces matins avec mon grand, mon merveilleux et mon café. Les cocards c'est pas la chose la plus discrète que l'homme ait inventée. On s'est engueulés, il voulait pas que je vienne me faire tabasser pour une tasse et un joint, et moi je serai morte pour le voir. Ils se sont battus un jour, pendant que je prenais ma douche. Quand je suis remontée il était tout seul, il m'a prise dans ses bras, en me demandant pardon, pardon petite, excuse moi, je savais pas, j'étais aveugle, je n'ai rien vu, excuse moi petite. Je comprenais rien, c'était moi l'aveugle putain. Mais mon ennemi le désir était là, silencieux et sale, il nous enchainait, on était englués, je voulais pas de ça, je voulais pas entendre sa respiration accélrer, je voulais pas sentir mes lèvres s'entrouvrir.
Je suis partie.
J'aimais contrôler les choses, j'aimais encore ça, la puissance et le pouvoir, j'étais encore une petite conne orgueilleuse et j'aimais décider de ma vie.
Le jeu c'était le jeu.