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ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson.
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5 juillet 2009

Fixed

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  Cette fille était trouée.
De partout, littéralement.
La voix trouée par la clope, les ongles trouées par cette putain de guitare, les yeux troués par le soleil, par les néons, les jeans troués par l'usure, les dents trouées, les dents du bonheur. Flingué. La bouche trouée, cassée, tordue par tous ces inconnus qui sont passés. Elle se faisait trouer parcequ'elle voulait pas être toute seule, parce qu'elle avait peur d'être toute seule, mais tu sais quoi, elle était trouée de solitude. Je l'ai trouée un peu plus, à la ramasser comme ça sur le trottoir, toute défoncée, à vouloir la faire vivre dans mon appart. A la regarder se lever, se démaquiller, remettre ses cheveux, un peu, manger, dormir, ou juste essayer. Comme un animal qu'on recueille, qui fait semblant de guérir et qui crève. Elle sortait de son trou, elle avait des cernes, les cheveux en bataille et mes chemises. Trouées.
  A la jeter comme un enfant, a la faire tourbillonner, et à pas trop savoir comme la rattraper. Un oisillon qui prend son envol, et qui s'écrase. T'inquiète pas, papa est là, bla bla. A la serrer trop fort le soir, à lui caresser les cheveux trop longtemps. A pas vouloir qu'elle se réveille, pour la regarder toute la nuit. Autant la laisser crever, si c'était pour la trainer jusqu'ici par les cheveux et lui donner juste assez pour subsister. J'avais tout compris de travers, de toute façon. Une fille comme ça, une fille comme elle, ça veut pas qu'on s'occupe d'elle. Ca veut qu'on la troue, qu'on l'enfonce, qu'on la baise. Ca veut pas de toutes ces attentions, de cette mièvrerie, ça veut pas de tes bras autour de sa taille. Ca veut des salopes, des gifles, des nuits à se faire prendre dans les toilettes, ça veut finir en sang dans la rue. J'avais tout flingué, tout seul, et même après avoir compris, j'ai continué. Parce que ça me faisait bander de croire que je pouvais la faire changer, que ces deux mois dans mon apart, sans rien voir d'autre que des toits, un bout de ciel et des affaires par terre, ça allait la faire devenir comme moi. Qu'elle n'aurait plus peur du vide, qu'elle n'aurait plus peur d'être seule, qu'elle aurait peur des gens, au lieu de les aduler aussi malsainement.
Je voulais qu'elle soit comme moi, qu'on soit deux, deux ours, deux ermites, qu'on s'enferme et qu'on ressorte plus. J'aurais voulu qu'on se contente l'un de l'autre, qu'on fasse semblant de se jeter de temps en temps. Qu'on se fasse un peu peur, aussi. Pourtant j'ai la conviction de pas avoir agi par pur égoïsme. Je suis sûr de l'avoir fait pour elle, je suis sûr d'avoir, à un moment ou à un autre, cru que mon mode de vie était le plus sain, et que c'était en vivant comme moi qu'elle s'en sortirait.        Mais c'était ça, à force de croire qu'elle était en sécurité, à force de la prendre dans ma bras comme si c'était ce qu'elle voulait, à force de penser qu'elle m'aimerait, je l'ai trouée. C'était ça, un petit oiseau qui dépérissait, qui ne répondait pas quand on lui posait une question, qu'on devait alimenter, qui se laissait faire. Et c'était sûr, et je savais, avant même de rentrer, avant même de sentir l'odeur de vide dans l'appartement, avant même d'hésiter à allumer la lumière, je savais qu'elle était là, recroquevillée au pied du canapé, froide et blanche, je savais qu'elle ne me regarderait pas au moment où je franchirais la porte, avant même de l'avoir ouverte, je l'ai vue, j'ai vu sa petite silouhette étendue, dans toute sa pureté bafouée. Avant même d'en avoir la preuve, je savais qu'elle avait réussi, qu'elle s'était enfin tirée de cette situation, qu'elle avait trouvé le moyen de s'échapper. Je n'ai pas crié, j'ai récupéré le verre posé sur la table, je l'ai jeté par la fenêtre. Je l'ai traînée une dernière fois dans les escaliers. Je l'ai remise là où je l'avais prise, je l'ai déposée sur le sol et je l'ai serrée longtemps. Comme elle aurait détesté que je le fasse. Je l'ai trouée, je l'ai laissée sur la trottoir, et je suis parti.


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Commentaires
K
C'est tout joli et ( ahah tu vas me détester ) c'est plus " Nothomb " que les autres mais ATTENTION ça veut pas dire que c'est moins bien, juste plus cynique et cruel, moi j'aime troop lire ça :D
A
J'adore
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